Stratégie/ La guerre d'Iran aura-t-elle lieu ?

Le New York Times a rendu compte le 20 juin d’un important exercice militaire israélien . Début juin, des manœuvres aériennes ont eu lieu en Méditerranée orientale auxquelles ont participé 100 appareils F16 et F15, des ravitailleurs en vol et des hélicoptères, destinés à secourir les pilotes tombés en mer. L’exercice simulait un raid de 1400 km, soit le rayon d’action théorique des chasseurs-bombardiers engagés. Comme cette distance est également celle qui sépare Israël de l’usine d’enrichissement de l’uranium, à Natanz en Iran, il est tentant de voir là une préparation à la destruction des installations nucléaires iraniennes.

Depuis que les armées existent, préparer la guerre est la tâche permanente assignée aux militaires en attendant le moment du combat. Que Tsahal  s’exerce à remplir toute mission qui pourrait lui être confiée par le gouvernement israélien ne saurait surprendre. En revanche, que cet exercice ait été révélé au monde par un quotidien américain prestigieux, lequel ne cite pas ses sources, relève d’une volonté israélienne d’utiliser ces manœuvres comme un argument destiné à nourrir la réflexion de ses multiples destinataires. Ce déploiement de forces constitue en tout cas une pièce supplémentaire à cet épais dossier stratégique qui pourrait s’intituler : « La guerre d’Iran aura-t-elle lieu ? ».

Les manœuvres militaires sont en gros de deux sortes. Les unes sont tenues secrètes pour ne pas attirer l’attention. Les autres, spectaculaires et médiatisées, doivent montrer au peuple que l’armée est prête et à l’ennemi qu’il a tout intérêt à ne pas tenter l’aventure. Mais il y a aussi les grandes manœuvres, exécutées discrètement puis révélées au moment choisi par l’Etat organisateur, après une préparation politique soignée. Il s’agit d’obtenir un effet psychologique sur l’adversaire qui vient opportunément s’ajouter au bon entraînement des militaires considérés utilisant les matériels dont ils sont dotés.

Ce dernier cas est celui d’Israël. Il y a quinze jours, on notait dans ces colonnes  les propos belliqueux de divers responsables israéliens, en particulier ceux du ministre Shaul Mofaz. L’ancien chef d’état-major de Tsahal estimait qu’Israël serait contraint d’attaquer l’Iran s’il poursuivait son programme d’armement nucléaire. Jeudi, Ehoud Barak, ministre de la Défense, affirmait au quotidien parisien Le Monde qu’aucune option ne pouvait être écartée, « ce qui nécessite », ajoutait-il, « une certaine préparation, une planification ». Une façon mesurée d’annoncer que des manœuvres adaptées avaient eu lieu, confirmées le lendemain par le NYT.

Comme le fait observer une autorité du Pentagone, citée par le quotidien new-yorkais, cette gesticulation prépare l’action au cas où les efforts diplomatiques échoueraient à dissuader l’Iran : « Ils veulent que nous le sachions, que les Européens le sachent, que les Iraniens le sachent »... Message reçu en Iran ! Dimanche, un dirigeant des Pasdarans, le général Mohamed-Ali Jafari, déclarait au Teheran Times : « Les forces armées iraniennes sont prêtes à détecter et à repousser toute attaque qui viserait les installations nucléaires du pays ». On a noté ces jours-ci un renforcement des défenses contre avions autour des points sensibles, y compris la mise en batterie opérationnelle des missiles antiaériens russes réputés performants Tor-M1, reçus en janvier 2007 (voir ci-dessous).

Ces manœuvres israéliennes ne sont sûrement pas les premières du genre.  D’ailleurs un Etat qui planifie une opération aussi complexe se garde en principe d’en dévoiler les préparatifs. Le but de l’annonce est d’inquiéter les Iraniens. Sans doute, Téhéran soupçonne-t-il une opération essentiellement psychologique mais il ne peut en être sûr à cent pour cent. La menace israélienne devrait exacerber les dissensions latentes au sein des cercles cléricaux iraniens jusqu’à influencer les décisions du pouvoir.

Pour autant Israël n’a peut-être pas les moyens de ses ambitions. 600 miles nautiques le séparent de la frontière iranienne, ce qui est à la portée des appareils hébreux. Il leur faudrait cependant aller encore plus loin, au cœur de l’Iran. Cela suppose des réservoirs supplémentaires extérieurs et aussi des ravitaillements en vol sur le chemin du retour. Le nombre d’avions pose lui aussi un problème. Compte tenu des appareils consacrés à la sécurité de l’opération, à la neutralisation des défenses antiaériennes, aux mesures de guerre électronique, une faible proportion des chasseurs engagés (50% ?) larguerait des bombes sur les objectifs. Tsahal a acquis récemment aux Etats-Unis des GBU 28, aptes à détruire des blockhaus enterrés (ci-dessous). Ce serait sans doute insuffisant pour annihiler tous les sites, certains profondément enfouis dans le sol, d’autres inconnus ou mal connus. Tout juste Israël peut-il caresser l’espoir de retarder de quelques années le programme nucléaire iranien.  

  
Au cas où l’opération interviendrait, les aviateurs hébreux devraient survoler la Jordanie ou bien la Syrie et, en tout état de cause, l’Irak. Cela équivaudrait à faire fi des souverainetés respectives de ces Etats et à placer Irakiens et Américains dans une situation inextricable, au moment où ils sont en train de négocier un accord de sécurité à long terme. Enfin, bombarder l’Iran ne serait ni dépourvu de risques, malgré l’inconsistance avérée de l’Armée de l’air perse, ni assuré du succès dans la mesure où l’opération pourrait difficilement être renouvelée et où les marges d’erreur seraient considérables.

Il aurait été surprenant qu’Israël s’abstienne d’envisager un raid semblable comme il serait incroyable que son Armée de l’air ne s’entraîne pas à mener pareille attaque. Cependant, ni l’existence de plans d’intervention contre l’Iran, ni l’exécution d’une grande manœuvre aérienne dans les premiers jours de juin, ne signifient qu’un assaut israélien contre les installations nucléaires de l’Iran soit imminent. 

© Jean-Louis Dufour & L’Economiste, 2008


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FICHES TECHNIQUES : TOR RUSSE, GBU AMERICAIN

Le Tor-M1 est un missile Surface-Air à moyenne portée, conçu pour engager avions, hélicoptères et missiles de croisière. Un bataillon de défense antiaérien doté de Tor-M1 compte en principe quatre batteries à quatre lanceurs.

Le véhicule de lancement dispose de huit missiles pouvant être lancé verticalement, d’un radar de surveillance 3D, d’un radar d’acquisition et d’un système TV. Une fois qu’un aéronef est repéré par le radar d’acquisition à une distance de 27 km, il est surveillé. S’il se révèle hostile, il est pris en compte par le radar de guidage à partir de 12 km et à une altitude pouvant aller jusqu’à 6000 mètres.

Sitôt donné l’ordre de tir donné, le Tor M1 tire immédiatement deux missiles. Si l’avion visé évite le premier, il a peu de chances d’éviter le second. La batterie peut tirer 16 missiles en même temps qui foncent vers leurs cibles à 850 mètres/seconde.

Le GBU 28, ou Penetrator, est une bombe à guidage laser, donc extrêmement précise, mise au point aux Etats-Unis en 28 jours, à l’occasion de la guerre du Golfe. Elle mesure cinq mètres de longueur pour 70 cm de diamètre. Sa charge est de 2 500 kg d’explosifs. Sa précision est de l’ordre du mètre.

Cette version de la bombe Paveway est appelée « bunker buster ». Son corps est dérivé d’un fût de canon d’artillerie. C’est avant tout une grosse masse métallique qui, avec son énergie cinétique, est capable de pénétrer le sol jusqu’à trente mètres de profondeur avant d’exploser.

Une partie de la charge est constituée d’un très puissant explosif. Le reste, classifié, est supposé être de l’uranium enrichi, employé à cet usage pour son extrême dureté. Cette bombe est munie à sa tête d’un dispositif appelé « pénétrateur » qui donne son nom à l’engin.