Le jeudi 7 août, les troupes géorgiennes pénètrent en Ossétie du Sud. Ce territoire de la taille d’un département français (4000 kilomètres carrés), presque vide d’habitants (moins de 100 000 âmes), appartient à Tbilissi en droit international. Mais il a déclaré unilatéralement son indépendance en 1991, au moment même où la Géorgie proclamait la sienne. Et l’a préservée depuis cette date, de facto, avec l’aide de la Russie.
Pendant quelques heures, les Géorgiens progressent facilement. Ils déploient une dizaine de milliers d’hommes, plusieurs dizaines de blindés. Leurs officiers ont été formés par les Américains et les Israéliens. Pas de résistance de la part des milices ossètes. Pas de réaction de la part de l’armée russe, qui dispose pourtant de quelques troupes et de plusieurs points d’appui dans la région. Le président géorgien Mikheïl Saakashvili et son état-major croient pouvoir s’emparer de Tskhinvali, la capitale ossète, avant la fin du week-end. Cela leur permettra, pensent-ils, de négocier en position de force avec Moscou. Vladimir Poutine, qui a troqué les fonctions de président pour celles de premier ministre, mais qui reste le véritable maître de la Russie, n’assiste-t-il pas à l’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin ? Le temps qu’il rentre au Kremlin, il ne pourra plus lancer une contre-offensive sans paraître s’ingérer dans les affaires d’un pays souverain…
Ce que les Géorgiens ne savent pas, c’est qu’ils sont en train de s’enfoncer dans un double piège, politique et militaire, préparé de longue date par les Russes.
Politiquement, les médias internationaux filment une armée conquérante, des colonnes de chars, des transports de troupe qui déploient fièrement le drapeau national : cinq croix rouges – l’une grande, les autres plus petites – sur fond blanc. Tandis que les médias russes font état de « massacres de civils ossètes ». Tbilissi fait soudain figure d’agresseur.
Militairement, la passivité russe était feinte. Dès le vendredi 8 août, les forces de Moscou contre-attaquent à grande échelle en Ossétie et contraignent les Géorgiens à se retirer. Le samedi 9 et le dimanche 10, elles poursuivent leur action. L’aviation pilonne l’ensemble du territoire géorgien : les bases et les convois militaires, les axes routiers, les aéroports. Des unités de choc encerclent Gori et commencent à faire mouvement vers Tbilissi. La marine russe bloque la côte de la mer Noire, notamment le port de Poti. Un second front est ouvert en Abkhazie : une autre région sécessionniste prorusse au nord-ouest du pays.
L’armée géorgienne se replie en bon ordre et prend position autour de Tbilissi, pour y soutenir, le cas échéant, un siège de longue durée. Les civils s’enfuient : le 15 août, on parle déjà de cent mille réfigiés. Le président français Nicolas Sarkozy, en sa qualité de président de l’Union européenne, tente une médiation, suivi par la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice. Les Russes – Poutine, mais aussi le président nominal, Dimitri Medvedev, et le ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov – les reçoivent, discutent, protestent de leur bon droit et de leur bonne volonté. Un cessez-le-feu est finalement mis aux point, sous la houlette de Sarkozy. Il reconnaît aux Russes, de facto, leur mainmise l’Ossétie et l’Abkhazie, et même, à titre provisoire, quelques points de contrôle en territoire géorgien proprement dit. Mais pour le reste, ils s’engagent à retirer leurs troupes. Le président français précise : « La souveraineté de la Géorgie est plus importante que son intégrité territoriale ». Sous-entendu : que le strict respect des frontières issues de la désintégration de l’Union soviétique, en 1991.
Les Russes annoncent sans cesse que leurs troupes « ont cessé leur progression », qu’elles « amorcent leur retrait ». Mais sur le terrain, l’offensive continue. « Nous ne considérons plus Shaakashvili comme un interlocuteur valable », laisse tomber Lavrov. Ce qui dévoile les véritables buts de guerre de Moscou : renverser le gouvernement géorgien et en installer un autre, qui reconnaîtrait la suprématie de l’ancienne « métropole » russe dans le Caucase.
Les Occidentaux, tant Américains qu’Européens, sont outrés. Les « nouveaux membres » de l’Union européenne et de l’Otan – les pays européens qui faisaient partie autrefois de l’empire soviétique, tels que la Pologne, les pays baltes, la République tchèque et la Hongrie – font part de leur « inquiétude ». L’Ukraine, pays ex-soviétique qui se rapproche de l’UE et de l’alliance atlantique depuis plusieurs années, annonce qu’il va interdire à la flotte russe de la mer Noire d’utiliser la base de Sevastopol, située sur son territoire.
Certes, à Washington, l’administration Bush précise : « Dans la crise russo-géorgienne, une option militaire américaine ou atlantique est hors de question ». Mais on évoque des mesures « politiques » de rétorsion. Une « suspension » de l’appartenance de la Russie au G-8, par exemple. Ou l’accueil de l’Ukraine et même de la Géorgie au sein de l’Union européenne ou de l’Otan. Tbilissi ne cesse de réclamer une telle mesure plusieurs années : dans ses discours télévisés ou ses conférences de presse, Saakashvili fait même déjà figurer le drapeau européen à côté de celui de son pays.
Le Caucase, énorme massif montagneux dressé entre la mer Noire et la Caspienne, est l’un des berceaux de l’humanité. Selon la Bible, c’est sur son sommet le plus élevé, le mont Ararat, que s’échoue l’arche de Noé après le déluge, avec une poignée de survivants dont descendent toutes les races humaines actuelles. La mythologie grecque y enchaîne Prométhée, le héros qui a volé le feu aux dieux pour le transmettre aux hommes. La paléontologie scientifique voit dans l’Homme de Dmanisi, découvert en 1991 dans le village géorgien du même nom, à 85 kilomètres au sud de Tbilissi, le plus vieil Européen connu. Agé de 1,8 million d’années, cet individu aurait été un précurseur direct de l’Homo sapiens, au même titre que les hominidés africains.
A l’époque historique, cette région se caractérise par une très grande diversité ethnique, linguistique et religieuse, comme c’est souvent le cas en zone de montagne : chaque vallée forme un monde à part. Les Géorgiens, au centre, semblent appartenir à une strate de peuplement très archaïque : leur langue, le kartuli, particulièrement complexe, pourrait être apparentée au basque et constituer, comme ce dernier, un vestige d’une langue « ibéro-caucasique » parlée dans toute l’Europe voici une dizaine de milliers d’années, avant l’arrivée des Indo-Européens. Les Arméniens, également installés au centre du Caucase, mais naguère répandus également en Anatolie, seraient venus plus tard, puisque que leur langue se rattache au groupe indo-européen ; ils seraient néanmoins antérieurs à leurs cousins hittites, indo-iraniens ou grecs. Enfin, les Khazars, Avars, Tatars, Turcs et Azéris, issus du groupe turco-mongol, ont pénétré la zone caucasienne pendant le Ier millénaire de l’ère chrétienne.
Sur le plan culturel, le Caucase a subi l’influence de la Grèce et de Rome, mais aussi celle de la Perse, de l’Asie centrale et même de la Chine. En termes religieux, les Arméniens et les Géorgiens se sont convertis au christianisme dès les IIIe et IVe siècle, tandis que les peuples turco-mongols ont embrassé l’islam entre les VIIe et le XIVe siècles. Mais ces deux grands ensembles se fractionnent à l’infini : les Géorgiens sont grecs-orthodoxes, les Arméniens monophysites (avec une minorité orthodoxe), les Tatars et Tchétchènes sunnites, les Azéris chiites ; il y a parfois des Turcs chrétiens, ou des Géorgiens musulmans ; et des communautés juives très anciennes se sont maintenues presque partout, notamment en Géorgie et au Daghestan.
Politiquement, les Caucasiens parviennent souvent à maintenir une certaine indépendance, face aux Empires successifs. C’est le cas en particulier de la Géorgie, qui conserve ses rois et ses princes jusqu’au XVIIIe siècle, même si elle reconnaît la suzeraineté ottomane à partir du XVIe siècle. Mais le dernier venu des Empires, la Russie, est plus déterminé que les précédents. Dès 1554, Ivan IV le Terrible s’empare d’Astrakhan, au nord-ouest de la mer Caspienne. Le versant nord-ouest du Caucase ou Ciscaucasie, de la mer d’Azov à la région de Stavropol, est conquis et russifié au XVIIIe siècle. Le versant nord-est, Tchétchénie et Daghestan, est « pacifié », plus tard, au XIXe siècle : les Russes se heurtent à la résistance acharnée de confréries militaro-religeuses soufies, notamment celle de l’iman Chamyl en Tchétchénie.
Sur le versant sud du Caucase, ou Transcaucasie, les Russes prennent pied dès l785, en établissant une sorte de protectorat en Géorgie. En 1800, le dernier roi local consent « volontairement » à une « union » avec les tsars. En 1826, c’est le tour de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie orientale, conquises sur la Perse. En 1875, les Russes annexent une partie de l’Arménie occidentale, jusque là ottomane. Comme le souligne le géopolitologue François Thual (Le Caucase, Flammarion, 2001), Saint-Pétersbourg conçoit ces agrandissements comme le préliminaire à la conquête de la Turquie et de la Perse elles-mêmes, dans sa stratégie de marche vers les mers chaudes.
Les Russes n’ont pas de mal à séduire et assimiler les élites caucasiennes, tant chrétiennes que musulmanes : les princes géorgiens, en particulier, sont admis dans la plus haute aristocratie, comme le prince Bagration qui commanda une partie des armées du tsar en 1812, face à Napoléon. Les classes moyennes sont plus rétives. Elles tiennent à préserver leur langue, leur religion, leurs coutumes. Mais elles doivent tenir compte, par ailleurs, de liens économiques croissants avec l’Empire. Dès le début du XIXe siècle, la côte caucasienne de la mer Noire est devenue une « riviera », une zone de villégiature pour la bonne société. Les zones montagneuses suivent bientôt, grâce au thermalisme. La viticulture se développe, pour répondre à la demande du marché intérieur russe. Enfin, sur la côte de la mer Caspienne, il y a le pétrole : en 1900, les puits de Bakou sont les premiers du monde en termes de production.
Sur le front caucasien, la Première Guerre mondiale est d’abord marquée par des succès russes. Mais en 1917, l’Empire s’effondre. Les musulmans de Ciscaucasie se révoltent à nouveau. La Transcaucasie fait sécession, sous l’impulsion de partis nationalistes issus des classes moyennes. La Géorgie tente de se constituer en Etat, tout comme l’Arménie et l’Azerbaïdjan : mais ces indépendances tournent vite à la guerre civile, entre des « partis » qui ne font eux mêmes que recouvrir des clans locaux. En 1922, la Russie, devenue une dictature communiste, n’a pas de mal à rétablir son autorité : les Etats transcaucasiens deviennent des « Républiques soviétiques ». Mieux, des Caucasiens russifiés prennent la tête du nouveau régime : le Géorgien Joseph Djougachvili, alias Staline, qui devient à partir de 1934 le maître absolu de l’Union soviétique ; un autre Géorgien, Lavrenti Beria, chef de la police politique à partir de 1938 ; l’Arménien Anastase Mikoyan, membre du Bureau politique et chef de la diplomatie. Leur succéderont, une trentaine d’années plus tard, le Géorgien Edouard Chevardnadzé, dernier ministre des Affaires étrangères de l’URSS, et l’Azéri Geidar Aliev, membre du Bureau politique. Deux des derniers « tsars rouges », Youli Andropov et Mikhaïl Gorbatchev, sont des Russes de Ciscaucasie.
Staline a commencé sa carrière politique, sous Lénine, en tant que commissaire du peuple aux Nationalités : un poste-clé, dans un Empire multi ethnique et multireligieux. Par la suite, il continuera à accorder beaucoup d’attention à cette question. Sa methode, qui doit sans doute beaucoup à ses expériences et à ses observations personnelles dans le Caucase prérévolutionnaire, repose sur deux idées :
1. Diviser pour régner, empêcher la constitution de blocs nationaux ou religieux trop homogènes, donc trop puissants. En pratique, cela revient à créer, au sein de chaque République soviétique à caractère ethno-linguistique, des Républiques ou des arrondissements autonomes en faveur de minorités locales.
2. Accorder à chaque groupe l’autonomie linguistique et culturelle, mais promouvoir en même temps la suprématie d’un Etat et d’un parti communiste supranationaux, c’est à dire, en fait, russes. Ce qui revient à dédoubler chaque structure administrative ou politique en branches locale et russe.
Staline ne traite pas sa Géorgie natale autrement que le reste de l’Empire : il y découpe des sous-entités non-géorgiennes (Ossétie du Sud, Abkhazie, Adjarie), pour faire contrepoids à un éventuel « chauvinisme » géorgien ; il y favorise la russification. Vers la fin de sa vie, quand il soupçonne Beria de préparer un coup d’Etat en s’appuyant sur certains groupes géorgiens, notamment les Mingréliens, il soumet immédiatement ces communautés à des « purges » implacables. Cette politique se poursuit après sa mort, en 1953. Le pouvoir central soviétique renforce l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud aux détriments de la République de Géorgie. Il favorise l’installation de russophones. Et va même jusqu’à envisager, en 1976, de faire du russe la langue officielle locale, à la place du kartuli. Cette dernière mesure, particulièrement maladroite, suscite une mobilisation sans précédent des patriotes géorgiens, tant contre les Russes que les autres peuples caucasiens. Quelquefois travestie en culte du « grand homme d’Etat soviétique Staline », ce qui ne trompe personne…
En 1989, l’Union soviétique commence à s’effilocher, comme l’Empire des tsars en 1917. Les Républiques du Caucase se déclarent « souveraines ». Des affrontements interethniques se multiplient. Les forces spéciales soviétiques interviennent, sans grand résultat. A la fin de l’été 1991, après l’échec d’un putsch à Moscou, les trois Etats transcaucasiens proclament leur indépendance, ainsi que la Tchétchénie ciscaucasienne. En Géorgie, c’est Zviad Gamsakhourdia, un chantre de l’identité linguistique et religieuse du pays, violemment antirusse, qui prend le pouvoir. En Azerbaïdjan, c’est Aboulfaz Elchibey, qui professe à peu près les mêmes idées, mais avec un vernis musulman. En Tchétchénie, Djokar Doudaïev, ancien général de l’armée de l’air soviétique, mais successeur autoproclamé de l’imam Chamyl. En Arménie, le nouveau gouvernement n’est pas moins nationaliste, mais prorusse : l’ennemi héréditaire, ce sont les voisins proches, Turcs au sud, Azéris au nord-ouest, Géorgiens à l’est.
D’emblée, les Russes refusent les « sécessions » caucasiennes et mettent tout en œuvre pour la juguler. La Tchétchénie constitue une priorité, dans la mesure où cet Etat fait partie, en droit international, de la Russie « résiduelle » issue de l’effondrement de l’URSS. Moscou livrera trois guerres, sous Eltsine puis sous Poutine, de plus en plus féroces, en 1991, 1993 et 1999, pour la soumettre.
Ils ne négligent pas pour autant la Transcaucasie. Dès décembre 1992, Gamsakhourdia est renversé à Tbilissi. Au printemps 1993, c’est le tour d’Elchibey à Bakou. De façon significative, les deux hommes sont remplacés par d’anciens hiérarques soviétiques : Chevardnadze en Géorgie, Aliev en Azerbaïdjan. En Arménie, ces méthodes ne sont pas nécessaires. On se contente d’aider les dirigeants locaux à s’emparer du Haut-Karabakh azéri, largement peuplé d’Arméniens, ainsi que d’un corridor permettant d’y accéder : pour conserver cette conquête, Erevan devra s’aligner sur Moscou…
Mais la « normalisation » politique ne suffit pas. Pour empêcher tout retour à l’indépendantisme, les Russes exigent le maintien de leurs grandes bases militaires en Transcaucasie. Et ils encouragent des mouvements sécessionnistes en Abkhazie et en Ossétie du Sud (l’équivalent de ce qu’ils combattent en Tchétchénie). Avec pour corollaire l’expulsion de centaines de milliers de Géorgiens de souche, remplacés par des colons russes.
Ce nouvel ordre se maintient, cahin caha, jusqu’en 2004. C’est la Géorgie, à nouveau, qui défie la Russie. Des cortèges se multiplient à Tbilissi et dans la plupart des grandes villes : les manifestants offrent des roses aux forces de sécurité, en faisant appel à leurs sentiments patriotiques. Effectivement, les soldats et les policiers décident de rester l’arme au pied. Chevardnadze s’enfuit.
Un homme jeune, charismatique, soutenu par les réseaux néo-conservateurs américains, le remplace : Saakashvili. Il exige le « retour à la patrie » de l’Abkhazie et de l’Ossétie, l’évacuation des bases russes. Il accélère la mise en place de oléoducs et de gazoducs Caspienne/mer Noire, transitant par la Géorgie : un dispositif qui cassera le monopole russe en matière d’acheminement des hydrocarbures de la mer Caspienne et de l’Asie centrale. Il réorganise son armée avec l’aide d’agences « privées » américaines et israéliennes – et envoie deux mille hommes en Irak aux côtés des Américains. Il « européanise » les symboles nationaux : drapeau, armoiries, uniformes. Cette politique ne fait pas toujours l’unanimité autour de lui, pas plus que son autoritarisme croissant. En 2007, il n’est réélu que d’extrême justesse. Mais en 2008, les nouveaux tubes pétroliers et gaziers commencent à fonctionner : du jour au lendemain, le pays devrait connaître une forte augmentation de son PIB. Et rien ne sert mieux un régime que la prospérité…
La Russie de Poutine juge nécessaire d’abattre Saakashvili sans plus attendre. Par tous les moyens, y compris la guerre. Date retenue : le mois d’août. La météorologie est alors favorable à l’aviation russe. Et les Jeux olympiques de Pékin font diversion. A court ou moyen terme, les risques semblent limités. Les forces russes disposent d’une supériorité militaire écrasante. Les Occidentaux n’interviendront pas directement dans le conflit. L’Onu ne condamnera pas l’offensive russe : Moscou détient un droit de veto au Conseil de sécurité, et peut compter en outre sur l’appui de Pékin.
Les gains, toujours à court ou moyen terme, semblent importants. La Russie devrait consolider à nouveau son emprise sur l’ensemble du Caucase, réaffirmer son rôle de grande puissance mondiale et de grande puissance régionale, rappeler que rien ne peut se décider sans elle au Moyen-Orient ou en Asie centrale (du conflit israélo-arabe à l’Afghanistan, en passant, bien entendu, par l’Iran, pays avec lequel le Kremlin a noué une quasi-alliance).
Mais à plus long terme, le jeu russe est plus aléatoire.
Quand Medvedev annonce, le 17 août, que « celui qui s’attaquera à des citoyens russes s’exposera à des représailles foudroyantes », il semble justifier à l’avance d’autres interventions hors du territoire russe actuel : pour venir en aide, par exemple, à la Transnistrie, Etat russophone « indépendant » sous haute protection russe situé le long du Dniestr, aux confins des anciennes Républiques soviétiques d’Ukraine et de Moldavie ; pour porter secours aux russophones d’Ukraine (la moitié au moins de la population de ce pays) ; pour défendre les droits des russophones des pays baltes (50 % environ de la population).
Le passage à l’acte en Géorgie contraint également les Occidentaux à réévaluer l’ensemble de la politique étrangère du Kremlin. Dix-sept ans après la chute du communisme, la Russie se comporte comme si elle l’ancien domaine soviétique (l’ex-URSS mais aussi l’Europe de l’Est) lui appartenait toujours, et comme si l’Occident restait un ennemi. En 1999, elle a regardé l’intervention occidentale au Kosovo comme une atteinte à ses droits impériaux. Mêmes réactions face à l’extension de l’Otan et de l’Union européenne à la Pologne, aux pays baltes et à la région danubienne. Ou à la mise en place d’un bouclier antimissiles.
Jusqu’à présent, les Américains et les Européens préféraient minimiser ces attitudes. Après la guerre de Géorgie, ce ne sera plus possible.
© Bruno Rivière & Le Spectacle du Monde, 2008